ciel orageux

Comprendre en partie la disparition des abeilles

« […] une société pour qui l'être était fondé en avoir. » Roland BARTHES, La chambre claire, Note sur la photographie, Paris, Seuil, 1980. p.28-29

Si vous me demandiez pour quelle raison les abeilles disparaissent, la réponse s'attarderait sûrement à l'intelligence d'un silence. S'il n'y avait qu'une raison ! Seulement, une multitude de facteurs aggravants sont à prendre en considération, dont le plus marquant semble être celui de la déraison. Nous pensons bien trop souvent à entretenir la souvenance de ce que nous sommes en privant volontairement l'existence d'une différence. Nous agissons sans prendre en compte le reste du vivant dans ce qu'il est, dans ce qu'il a de différent. Si il y avait une seule raison, une seule, elle serait bien là, dans l'indifférence d'une différence.

Les médias relaient la disparition inquiétante des abeilles et essaient de sensibiliser symboliquement les populations au devenir de notre condition humaine « Un monde sans abeilles, c'est une partie de notre patrimoine alimentaire qui disparaît, fruits, légumes, héritage de sélections agronomiques. » Nous en serions sérieusement affectés. Seulement, le mot abeille est ici posé comme une unité. Ce n'est pas une abeille, une sorte d'abeilles qui cesse d'exister mais les abeilles, la différence des espèces d'abeilles dans le monde qui expirent. Vingt mille espèces d'abeilles. Celles que nous connaissons depuis l'aube de l'humanité et celles restées pour nous inconnues par manque d’intérêts. Vingt mille espèces d'abeilles dans le monde. C'est aussi les autres insectes pollinisateurs coléoptères, lépidoptères, hyménoptères, diptères. Ce sont les plantes qui étaient pollinisées par ces insectes spécialisés qui s'éteignent à jamais, ainsi que les minuscules habitants de ces micro systèmes. Ce sont aussi les oiseaux et autres occupants de ces lieux de vie. Quatre-vingt pour cent des insectes n'existent plus. Soixante pour cent des espèces animales également. Combien d'écosystèmes les rejoignent ? Les scientifiques parlent d'extinction. Ne serait-il pas plus juste de poser le mot extermination ?

Les pesticides et leurs homologues organiques pour le bio sont en pile de liste des dossiers de responsabilité de ces hécatombes, de ces sacrifices, de ces massacres. Parlons de biocides et pas seulement de fongicides, d'herbicides ou d'insecticides. Définition -cides « Suff. issu du verbe lat. caedere dont il garde les signif. essentielles reprises dans les suff. lat. -cidium, -cida  : « frapper, abattre, tuer » […] » [Source CNRTL]. Les traitements détruisent le vivant. Ce sont des écosystèmes accomplis qui sont littéralement supprimés par l'extinction d'un seul des maillons de la chaîne. Nous le savons [ce point sera développé plus tard].

La page suivante pointe les prédateurs comme le frelon asiatique, les parasites — notamment le varroa, un acarien qui se nourrit de l'hémolymphe de l'abeille — et quelques maladies. Nous sommes-nous posés la question des raisons de la présence de ces maladies, parasites ou prédateurs qui pullulent aujourd'hui ? La question ne se pose pas car nous ne pouvons concevoir un modèle de pensée différent de celui mis en place depuis des temps anciens. Nous ne pouvons nous extraire d'un système dans lequel nous vivons pour en analyser avec objectivité les différents mécanismes. Un système qui abolit la moindre possibilité de questionnement. Ces plantes adventices, nommées communément mauvaises herbes, celles que nous essayons d'éradiquer, ne sont-elles pas toujours présentes ? Ces insectes nuisibles, ceux dont nous voulons nous débarrasser, ne sont-ils toujours pas présents ? Nous les aidons par l'emploi de nos moyens agrochimiques et organiques à développer des résistances, à devenir plus forts, plus nombreux. C'est un trait paradoxal ! Comment se peut-il que nous parlions d'extinction de masse en ce début de millénaire, alors que nous engendrons par nos pratiques des résistances ?

Les résistances de ces êtres visés sont le fruit d'une selection des seuls organismes ayant survécu à l'hécatombe de notre volonté. L'infime partie des invulnérables se reproduit tout simplement. Des résistances inversées se développent, celles des prédations, des parasitoses ou maladies infectieuses et nous pourrions-nous demander quelles en sont les fins ? Les molécules employées à des doses définies pour ces êtres en trop agissent malheureusement sur l'étendue des espaces traités où la vie proliférait. Ce sont bien souvent de fragiles équilibres qui eux sont les cibles indirectes de ces actions. Des plantes localisées à une aire définie. Des insectes spécialisés dépendants d'une variété végétale. La dé-termination à supprimer la totalité des êtres d'une espèce engendre la destruction des habitats naturels où cette espèce évoluait. Cela entraîne également la disparition d'une grande partie des êtres vivants dans ces milieux. Nous l'aurons compris, la problématique des indésirables qu'ils soient du règne animal ou végétal, nous oriente vers une fausse route, celle des effets et non des causes. Des solutions sont pensées afin de limiter voire éliminer les prédateurs, les maladies mais aucunement de réfléchir aux conséquences de nos intimes décisions. Nous ne remettons pas en cause les gestes déplacés à un ordre naturel. Il paraît évident que les deux pages du dossier sont intimement liées — pesticides et traitements contre les maladies, les parasites et les prédateurs.

De plus, si nous pouvons percevoir en grande partie l'impact considérable sur l'environnement, des actions grandement menées pour détruire la volonté d'une seule vie, d'un seul élément pathogène, d'un seul prédateur, d'un seul indésirable, nous ne pouvons cependant sonder, mesurer, évaluer l'étendue des déséquilibres qui agissent au sein des autres organismes encore vivants par nos gestes irresponsables. Nous mesurons l'échelle des disparitions mais nous sommes incapable de déceler le niveau de fragilité induit au sein des êtres vivants restants. Nos influences sur le vivant n'agissent-elles pas sournoisement, en ensemençant des faiblesses au sein des autres organismes, ceux dont nous exploitons les ressources et dont nous nous acharnons à essayer d'en préserver l'existence ? Ou faudrait-il dire plus justement, d'en penser, pour ne pas dire panser l'existence ? Ces plantes non adaptées à un environnement donné. Ces insectes considérés comme de simples produits. Ces animaux privés de liberté, de vitalité. Le chêne, celui au loin dans la forêt a-t-il besoin d'un engrais pour pousser, de traitements pour se défendre des nuisibles ? Les fougères, les bruyères, les ajoncs, les ronces, etc. toutes ces plantes sauvages ont-elles besoin d'amendements, de traitements ? N'en est-il pas de même des fourmis, termites, coccinelles, libellules, papillons, moustiques, mouches, grenouilles, lézards, taupes, hérissons, limaces, mésanges, moineaux, geais, pic-verts, corbeaux, chouettes, renards, blaireaux, chevreuils, sangliers, etc. Du ver de terre à l'aigle, du ver de vase à la baleine, tous ces êtres ont-ils besoin de l'homme pour trouver une nourriture ? Ont-ils seulement besoin de l'homme ? Nous déréglons l'ordonnance du vivant et nous nous étonnons du grincement de ses rouages.

Les pratiques agricoles sont dommageables pour le vivant. Les plantes, les animaux dont nous faisons également partie sont impactés de façon non négligeable par notre déraison. Le monde végétal et le monde animal s'adapte lentement, très lentement, à des données climatiques, à des facteurs environnementaux. En modifiant les lieux de résidences par les importations, les transplantations, les modifications génétiques, les hybridations sont créées des dégénérescences vitales. Prenons l'exemple d'un oranger. Nous consommons ses fruits pour le plaisir et pour la vitamine C contenue. Seulement, l'oranger ne pousse naturellement que dans certaines régions. Il faut un sol à la plante pour qu'elle se développe, un relief, un spectre lumineux avec des unités d'ensoleillement, des cycles diurne et nocturne, une pression atmosphérique, un indice hygrométrique, un quotient pluviométrique, des amplitudes thermiques, des facteurs influençant la pollinisation, ce sont la pluie, le vent, les températures, les lumières, les couleurs mais aussi les autres vivants dans son environnement qui l'acceptent en tant qu'être faisant partie d'un tout. Sur terre, sous terre, plantes partenaires, mycéliums, insectes, animaux, tous participent à son développement. En échange d'éléments recueillis, d'informations récoltées, l'oranger restituera à son entourage la somme de ses possibilités en matière de communication, de participation à un écosystème. Ce même oranger, délocalisé dans une région humide, froide, avec des éléments environnementaux différents de son lieu naturel de vie sera non adapté au biotope proposé. Des éléments viendront alors perturber le développement de cet être. Les parasites, les plantes, les animaux, les maladies agiront pour absorber sa différence. Comme une phagocytose, la plante sera digérée de quelque manière par le milieu, par les différents occupants de l'environnement, assaillie, étouffée, gangrenée, nécrosée, simplement agressée ou seulement s'éteindra spontanément dans le plus terrible, dénuement, isolement.

Nous pouvons nous concentrer seulement sur ces deux pages de responsabilité de la disparition des abeilles, les pesticides de quelques orientations prises (herbicides, fongicides, insecticides), sur les parasites, les prédateurs ou les maladies mais nous ne feront que nous attarder sur les effets notables de ces dévastations, les résultantes de nos entreprises à essayer de régenter le vivant. Les pratiques apicoles en sont une page bien plus sournoisement noircie sans que mot ne soit souligné. Un documentaire très intéressant sorti en 2012, réalisé par Markus IMHOOF, MORE THAN HONEY traduit en français par Des abeilles et des hommes[1] montre à lui seul à quel point la déraison est extrême dans nos pratiques courantes apicoles. Ce documentaire désigne cependant des apiculteurs inconscients dans des contrées lointaines. Pourtant, ces usages sont bien présents sur notre territoire, dans beaucoup de nos régions, à peine à quelques centaines de mètres de nos lieux de vie. Combien d'apiculteurs sont détenteurs de milliers de colonies transhumées sans réflexion sur des espaces de grandes floraisons ? Combien d'éleveurs sélectionnent et inséminent instrumentalement des reines d'abeilles ? Combien d'apiculteurs pratiquent l'essaimage artificiel ? Combien d'apiculteurs s'emploient à procéder à des opérations apicoles sans mesurer l'impact de telles actions ? Le terme opération peut signifier comme en mathématique un processus visant à obtenir un résultat à partir d'un ou plusieurs objets appelés opérandes [source Wikipédia]. Il est employé également dans le médical pour désigner intervention chirurgicale pratiquée sur l'organisme vivant dans un but thérapeutique, préventif, esthétique ou expérimental [source CNRTL]. Laissons de côté le domaine militaire (opération militaire), religieux (par l'opération du Saint Esprit) mais conservons sûrement la valeur économique opération sur biens et services. Nous apiculteurs ne mesurons pas la portée de notre inconscience à agir sur des organismes originellement sains. Nous entendons souvent dire au hasard des rencontres, sur un marché, dans nos familles, chez des amis Je connais un petit apiculteur, il s'occupe bien de ses abeilles. Que veulent dire ces quelques mots lancés spontanément dans l'ignorance d'une population submergée par les égarements d'une poignée d'incohérents. Il s'occupe bien de ses abeilles. Lorsque nous posons la question de ce qui est entendu par cette phrase anodine au premier abord, la réponse donnée est généralement la même il les soigne, c'est-à-dire il les nourrit, il les traite. Il est admis aujourd'hui par les gens de toute condition qu'il faille nourrir et traiter systématiquement les abeilles des apiculteurs, de celui possédant une ruche à celui en possédant des milliers. Pour quelle raison, si la nécessité d'une seule raison était capitale, devrions-nous nourrir et traiter des animaux sains en apparence ? Peut-être justement parce que cette apparence est trompeuse. Parce que ces animaux d'élevage ne sont pas aptes d'une part à subvenir à leur propres besoins et d'autre part pour la folie de vouloir toujours plus, en rendant hermétique ce qu'il y a de vivant dans un être pour ne considérer simplement que l'objet de son existence. [En cours d'écriture…]

Procès

Empr. latin processus : action de s'avancer, progresser [source CNRTL].
Démarche réflexive ayant pour objet la connaissance d'une chose.
Ensemble des pièces produites pour l'instruction et le jugement d'une affaire.

Pesticides

« Que demander de mieux à un penseur que d’inquiéter son temps par le fait d’avoir lui-même un rapport inquiet à son histoire comme à son présent ? » Georges Didi-Huberman. Survivance des lucioles. Paris : Les Éditions de Minuit, 2009, p. 57.

L’affaire du Gaucho de la société BAYER est encore fraîche dans les mémoires, un insecticide systémique [2], de la classe des Néonicotinoïdes[3], dont le principe actif est l’Imidaclopride enrobant les semences de tournesol, de maïs, de légumes et de céréales. Également, celle du Régent TS un autre insecticide commercialisé par la société BASF, à base de Fipronil utilisé dans le traitement des semences de maïs. Ces deux insecticides furent et sont toujours responsables d’une mortalité importante des colonies d’abeilles. Le problème lié au pesticides [4], nous le retrouvons sur toute la chaîne de production des aliments : élevage, cultures sylvicole, arboricole, céréalière et maraîchère.

Avant les traitements, la pratique des croisements de plantes se produisait, naturellement ou de façon contrôlée — on nomme communément le résultat de ces croisements des hybrides. Aujourd'hui, les croisements sont orientés vers des formes peu fertiles voire stériles. Autrefois, le paysan prélevait sur la récolte les semences dont il avait besoin pour ses futures cultures. Aujourd’hui, les semences vendues, issues de ces croisements ne produisent qu'en première génération hybride F1. Les graines récoltées de ces hybrides F1 ne déduisent souvent que des plantes instables dont les rendements sont très aléatoires voire inexistants. Elles sont dégénérescentes. L’agriculteur est donc obligé chaque année de racheter aux firmes qui en font commerce, des semences qui de surcroît seront traitées car attaquées par des parasites et maladies cryptogamiques [5]. Une plante met plusieurs centaines voire milliers d’années à s’adapter à un environnement. Dans la nature l'adaptation n'est pas instantanée. Il y a des périodes d'acclimatation et de selection des êtres les plus ajustés à un milieu. En modifiant le programme qu’une plante a elle-même établi durant ce temps d’acclimatation, nous déstabilisons l’équilibre qu’elle avait enfin atteint. Elle se retrouve en difficulté dans un environnement qui lui est désormais hostile. Elle sera donc fragilisée et la cible de multiples attaques. Et si elle ne peut faire face aux agressions extérieures — maladies, micro-organismes, parasites, animaux — elle s’éteindra. Les produits chimiques viendront simplement servir de tuteurs à une plante désormais inadaptée à l’environnement dans lequel elle se situe. Qui en récolte les fruits ? Les apiculteurs s’étonnent maintenant de ne plus faire les mêmes récoltes qu’il y a quelques décennies. Pourquoi des plantes dont l'organe de reproduction a été endommagé, altéré, dans son fonctionnement sécréteraient-elles du nectar voire du pollen pour attirer les insectes pollinisateurs ?

Depuis quelques décennies, les plantes ont été modifiées génétiquement, notamment pour résister aux épandages d’herbicides. Principalement le RoundUp Ready [6] produit et commercialisé par la firme américaine Monsanto, permettant des récoltes sans l’ombre d’une adventice, plante « qui croît sur les terres de culture indépendamment de tout ensemencement par l'homme » [Source CNRTL] — Plus de Chardons, Bleuets, Coquelicots, etc. Seulement, ces plantes de culture modifiées contiennent en elles, une part non négligeable d’herbicides, de fongicides et d’insecticides. Les insectes pollinisateurs sont donc exposés directement aux pesticides actifs dans la plante. Cela provoque des comportements anormaux. Ces produits ont une action directe sur les neurotransmetteurs [7] des insectes. Désorientés, ils ne retrouvent pas le plus souvent leur habitat et meurent dans le paysage. Pour les abeilles à miel, celles malgré tout qui arrivent à retrouver la direction de leur colonie transmettent les substances récoltées contenant des agents chimiques. Même si les doses sont sublétales et ne tuent pas les insectes adultes, cette nourriture empoisonnée (le mot semble juste ici) affectera les jeunes larves dans leur développement et provoquera immanquablement leur mort. Il en résultera un effondrement des colonies pouvant aller jusqu'à leur disparition. Cela aura un effet notable sur le peuplement des abeilles à miel et sur les produits que nous prélèverons pour notre consommation.

Cependant les apiculteurs sont loin d’être exempts de tout reproche. Ce sont les premiers a déstabiliser les abeilles. Ces dernières n’échappent pas à la règle de l’emploi des produits chimiques — ou organiques en bio, ce qui est sensiblement la même chose. Elles sont traitées chaque année. Systématiquement. En plus des nourrissements spéculatifs [8], des traitements antibiotiques — soit disant pour prévenir notamment les loques, maladies bactériennes touchant le couvain[9], alors que la raison première est une activité stimulée des colonies au printemps —, des traitements contre le Varroa[10], l’abeille est en permanence soumise aux stress engendrés par les pratiques apicoles — visites intempestives (de printemps, d'hivernage, de contrôle, de plaisir), transhumances, contrats de pollinisations, récoltes, greffages pour l'élevage de reines (où seulement quelques unes sont utilisées pour engendrer des lignées sélectives vendues aux quatre coins de la planète) ou de production de gelée royale, inséminations instrumentales des reines d'abeilles, changement annuel systématique de ces reines dans les colonies de production, essaimages artificiels, dégorgements des essaims pour les multiplier lorsque le nombre d'abeilles est trop important, etc. Toutes ces pratiques causent un affaiblissement des souches d’abeilles. Cela engendre une pauvreté des croisements génétiques. L’apiculteur est partie prenante dans le déclin des souches d’abeilles. Il participe âprement au développement des industries chimiques, dont les plus importantes sont les sociétés en produits pharmaceutiques. Il entretient les résistances des agents pathogènes. Ces résistances qui découlent des pratiques apicoles. Il suffirait simplement d’accepter de perdre une part des abeilles non-résistantes, pour que la selection s’opère naturellement vers une abeille adaptées à un biotope, alors que nous voyons se profiler à l’horizon la création d’une abeille résistante, elle, aux pesticides : AGM, Abeille génétiquement modifiée [11].

Dernièrement, le commerce maritime aidant, un nouveau fléau s’est abattu sur les colonies : le frelon asiatique. Ce vorace prédateur s’attaque aux abeilles et décime les ruches en quelques jours. Il participe en partie au déclin de l’abeille domestique. Depuis un certain nombre d’années, les apiculteurs se plaignent de la croissante mortalité de leurs abeilles. Aujourd’hui, nous entendons parler de disparition des abeilles ou silence des abeilles. Certaines régions, notamment en Chine et aux États-Unis sont radicalement vidées de leurs insectes pollinisateurs. Dans la région du Sichuan en Chine, les hommes sont obligés de polliniser à la main les fleurs des cultures de poiriers et de pommiers car il n’y a plus d’abeilles. La principale cause proviendrait de l’emploi des produits chimiques. L’utilisation des pesticides aurait fait disparaître complètement l’abeille de cette région. En témoigne le documentaire de Doug SHULTZ, Le silence des abeilles (2007) [12].À lire également TARDIEU, L’étrange silence des abeilles, enquête sur un déclin inquiétant (2009). Mais ce n’est qu’une partie du problème. Depuis peu, l’apparition d’un mystère œuvre en silence dans certaines régions du monde. Les abeilles désertent les ruches. On parle de syndrome d’effondrement des colonies ou Colony Collapse Disorder (CCD). Pour Dominique GUILLET les causes sont multifactorielles : l’utilisation massive des pesticides, les OGM, nos pratiques intensives agricoles et apicoles [cf. Dominique GUILLET, La disparition des abeilles (2010) [13]]. Le film documentaire de Markus IMHOOF, Des abeilles et des hommes (2012), en donne un bon aperçu. Il montre à quel point les apiculteurs aveuglés par le gain — obtenu par les récoltes contrôlées et les contrats de pollinisation — traitent les abeilles sans aucune marque de respect. Presque une boucherie. Le documentaire de Mark DANIELS, Le mystère de la disparition des abeilles (2012) [14] résume globalement tous les problèmes liés à l’apiculture. Les abeilles sont en grand danger, c’est indéniable.

Nous sommes au pied du mur et malgré cela nous continuons à entretenir les lobbies d’industries économiques. Référons-nous au documentaire de Marie-Monique ROBIN, Le monde selon MONSANTO (2008) [15]. Ce documentaire traite des produits chimiques fabriqués et commercialisés par la firme américaine MONSANTO. On y voit entre autres, les représentants de la société menacer le gouvernement américain avec un certain cynisme. Quatre produits sont ciblés par la journaliste. Les PCB, huiles utilisées comme isolant dans les transformateurs électriques (Pyralènes). Ces produits ont fait l’objet d’une interdiction au début des années quatre-vingt car ils étaient très polluants, provoquaient des cancers et agissaient également sur les organes reproducteurs des personnes soumises à leur contact. L’agent ORANGE utilisé par l’armée américaine pendant la guerre du Vietnam. Dans les années quarante la firme met au point un herbicide, le 2,4,5-T contenant de la dioxine — une molécule chimique hautement toxique. Or, le 2,4,5-T est le composant principal de l’agent ORANGE. Plus de quarante millions de litres du défoliant[16] ont été déversés dans le pays et plus de trois millions de personnes furent contaminés par les épandages. Ces personnes contractèrent des cancers et des dysfonctionnements génétiques (le problème n’est toujours pas résorbé). Les hormones de croissance bovines ou rBHG, permettant de haut rendement en lait. Outre l’augmentation non négligeable des productions laitières, ces hormones provoquent des mammites — inflammations de la mamelle des vaches. L’impact est notable : présence de pus dans le lait, d’antibiotiques du fait des traitements des mammites et augmentation de l’IGF1 (ou facteur insuline de croissance) ayant une relation certaine établie entre un niveau élevé d’IGF1 et les cancers du sein, du côlon et de la prostate. Le lait qui rappelons le entre dans la composition de nombreux produits de consommation courante : lait en poudre, fromages, yaourts, crèmes, beurres, gâteaux, saucissons, pâtés… et de nombreux autres produits destinés aux enfants en bas âges : bonbons, petits pots, compotes — rappelons-nous la publicité au début des années deux mille « Les produits laitiers sont vos amis pour la vie. » Lait qui est produit à partir de plantes OGM notamment le soja (les vaches étant alimentées de ces plantes). Et enfin, le Roundup, l’herbicide le plus vendu dans le monde. La firme affirme qu’il est biodégradable [Cf. Publicité télévisée en l’an deux mille [17]]. C’est un herbicide dit total car toutes les plantes meurent à son contact. Il est très employé dans l’agriculture intensive. Beaucoup de plantes aujourd’hui sont modifiées génétiquement afin de résister à son action : le blé, l’orge, le maïs, le soja, etc. Cela engendre l'élimination totale des autres plantes sur les parcelles traitées. En revanche, la plante non seulement modifiée génétiquement, absorbe l’herbicide pulvérisé. Elle est donc porteuse de cet herbicide. Son action sur les organismes vivants à pu être étudié de près et les analyses ont prouvé (Cf. prochain paragraphe : OGM, c'est quoi ?) que l’herbicide est hautement toxique et provoque des dysfonctionnements dans la division cellulaire. Que penser de son absorption par des insectes pollinisateurs, par des animaux ou par l’homme en fin de chaîne ?

Par ailleurs, quel peut-être l’impact des OGM sur les organismes vivants ? D’abord, qu’est-ce qu’un OGM ? Selon la définition donnée par Christian VÉLOT, Les OGM, c’est quoi ? (2005) [18] « Un OGM (organisme génétiquement modifié) est un organisme vivant (micro-organisme, végétal, animal) ayant subi une modification non naturelle de ses caractéristiques génétiques initiales par ajout, suppression ou remplacement d’au moins un gène. Le chercheur nous enseigne que les OGM sont étudiés depuis plus de trente ans et qu’il y a des applications importantes et positives notamment dans le domaine médical — cas de l’insuline pour les diabétiques. Mais il précise dans ce cas que les OGM sont utilisés comme des outils pour produire en grandes quantités des substances biochimiques dont seul un gène bien précis est sélectionné dans le processus. Seul une infime portion du code génétique de l’OGM est utilisé à des fins médicales. En aucun cas, l’OGM dans sa globalité est destiné à l’alimentation (humaine de surcroît) comme c’est le cas pour les plantes cultivées. Il fait remarquer que quatre-vingt dix neuf pour cent des plantes cultivées sont des plantes à pesticides. Ce qui veut dire que soit elles produisent un pesticide, soit elles l’absorbent mais dans tous les cas elles accumulent un pesticide. Or, dans ce cas précis, sont-elles encore des plantes comestibles ? Il souligne qu’aucune législation européenne oblige à évaluer ces plantes modifiées comme des pesticides et que seules des instances d’évaluation peuvent apprécier ou non le besoin de faire des tests. Si des tests sont demandés pour des raisons de santé publique donc de risque sanitaire, seule la firme semencière choisit le laboratoire qui fera les analyses, pour des raisons de secret industriel. Il n’y a donc aucune transparence en matière de santé publique pour raison de secret industriel… Or, depuis, des tests sanitaires ont été effectués et sont formels : il y a des modifications tant physiologiques que métaboliques et biochimiques sur des rats ayant consommés des OGM (comparé à ceux qui n’en avaient pas consommé). En témoigne le reportage de Michel DESPLATX, OGM : l’étude qui accuse (2005). Malgré le risque, l’A.F.S.S.A. (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments) autorise la commercialisation du produit ! Le problème des OGM est complexe. Les incidences sur l’environnement sont catastrophiques car il y a deux types de pollutions génétiques : l’une verticale qui se propage des parents aux enfants et l’autre horizontale qui elle contamine des espèces différentes — de la plante aux micro-organismes.

Quoi qu’il en soit, les plantes sont maintenant porteuses de pesticides notamment celles cultivées en monoculture où les épandages d’herbicides, de fongicides et d’insecticides sont incessants « Cent quarante mille tonnes de pesticides sont répandues en Europe et quatre-vingt mille tonnes rien qu’en France. » (Cf. Marie-Monique ROBIN, Notre poison quotidien (2010)). Le livre de Rachel CARSON, Printemps silencieux (2012), au sujet de l’emploi des pesticides en agriculture, vient démontrer à lui seul, à quel point la folie est meurtrière. L’épandage des produits chimiques en l’agriculture est nocif non seulement pour les organismes vivants sur les plantes, mais aussi pour ceux vivants dans la terre — dont la plante elle-même. En bout de chaîne, l’homme n’échappe pas à l’ intrusion, à la pénétration, à la violation de ses unités corporelles. Les molécules chimiques pénètrent nos corps jusqu’à nos cellules, intègrent nos gènes. Le documentaire de Carole POLIQUIN, Homo Toxicus (2008) [19] montre à quel degré nos corps sont porteurs de molécules de synthèse. Celles-ci nous envahissent, nous empoisonnent, nous tuent. Dominique GUILLET, fondateur de KOKOPELLI, association qui produit et distribue des semences potagères bio de variétés anciennes, n’hésite pas à parler d’une agriculture de guerre : « Qu’est-ce que c’est que la première guerre mondiale ? C’est l’éradication de la paysannerie franco-germanique qui se fait massacrer au front. Des millions de paysans sont morts. Cette entreprise de dé-paysannerie a été parachevée par la seconde guerre mondiale. Et puis, vient se greffer sur tout cela, la synthèse de l’ammoniaque, qui permet de faire des bombes et qui après permet de faire des fertilisants de synthèse. Et ensuite, l’invention du gaz moutarde durant la première guerre mondiale qui va donner tous les insecticides, qui sont des gaz de combat ! Et avec le plan Marshall en 1947, les États-unis arrivent avec les tracteurs qui sont la suite logique des tanks. Donc en fait, l’agriculture occidentale… c’est une agriculture de guerre ». [En cours d'écriture…]

[1] ↑ Markus IMHOOF, Des abeilles et des hommes (2012). o
[2] ↑ Qui contamine toute la plante rendue toxique aux insectes qui l’attaquent.
[3] ↑ Insecticides agissant sur le système nerveux central des insectes. o
[4] ↑ Produits chimiques employés contre les parasites animaux et végétaux des cultures.
[5] ↑ Affection parasitaire des végétaux provoquée par un champignon.
[6] ↑ Herbicide total commercialisé par Monsanto. o
[7] ↑ « Substance libérée par les terminaisons neuronales et qui assure chimiquement la transmission de l’influx nerveux. »
[8] ↑ « Qui pratique la spéculation : « Opération financière ou commerciale qui consiste à profiter des fluctuations du marché en anticipant l’évolution du prix (d’une marchandise, d’une valeur) pour réaliser une plus-value. » S’occupe de théorie (sans considérer la pratique). »
[9] ↑ Nom désignant l’ensemble regroupant œufs, larves et abeilles naissantes.
[10] ↑ « Varroa JACOBSONI est un acarien parasite des abeilles. Il se nourrit d’hémolymphe, liquide circulatoire de l’abeille analogue au sang. Il s’attaque également aux larves. Cela affaiblit considérablement les colonies à l’entrée de l’hiver, si bien qu’elles ne survivent généralement pas. »
[11] ↑ https://www.labeilledefrance.com/recherche-la-1ere-abeille-genetiquement-modifiee/ o
[12] ↑ Doug SHULTZ, Le silence des abeilles (2007). o
[13] ↑ Dominique GUILLETLa disparition des abeilles (2010). o
[14] ↑ Mark daniels, Le mystère de la disparition des abeilles (2012) [Extrait]. o
[15] ↑ Marie-Monique ROBIN, Le monde selon Monsanto (2008). o
[16] ↑ « Qui fait tomber les feuilles, qui provoque la défoliation. »
[17] ↑ Publicité Roundup [Source INA]. o
[18] ↑ Christian VÉLOT, Les OGM, c’est quoi ? (2005). o
[19] ↑ Carole POLIQUIN, Homo Toxicus (2008). o
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