Des sommes considérables d'études contenues…
Le Festival de Salzburg est l'un des plus célèbres au monde. Il attire à lui chaque année près de 240 000 visiteurs amateurs d'opéras et de musiques classiques. Valery GERGIEV dirige en deux mille cinq l'orchestre philharmonique de Vienne pour une interprétation de Shéhérazade, œuvre du compositeur Nikolaï RIMSKI-KORSAKOV. Il orchestre. Il s'agite. Il gesticule. Il transpire. Il expire. Devant lui, le demi-cercle du petit groupe de musiciens dont il inscrit le centre du seul rayon de ses actions. Derrière lui, un large cercle de « personne() ». D'un coté, l'assemblée passive est soulevée par les flots des notes percutantes, denses et dynamiques. Un profond tissu de matière emporte. De hautes vagues extirpent l'unité des émotions. Les envolées saisissent. Cependant, impassible, d'aucun reste ancré dans une immobilité de corps. D'un autre côté, des musiciens… un musicien affairé à une précision articulée du geste. Un musicien qui sa vie durant, a répété une attitude, jours après jours, heure après heure, minute après minute, inlassablement sans faillir une seconde, s'agrippe au difficile choix de son instrument à servir son émoi. Chaque musicien exalte l'instant. Chacun, dans la contenance et la consistance, affecte comme aucun autre l'acte de l'immensité de son geste accompli. GIERGEV savoure. Il orchestre. Non. Il reçoit. La place qu'il occupe s'efface au regard des corps statufiés. N'offrant son visage qu'aux seuls accords des promesses libérées. Des sommes considérables d'études contenues, suspendues jusqu'à l'espérance d'une délivrance. Une note enfin exprimée. Des notes. Encore et encore. Il reçoit. Il reçoit ce qu'aucun autre à sa place ne pourra jamais recevoir. Il expire. Mil huit cent quatre-vingt-huit. Quarante-cinq minutes. [1]
Villa des quatre frères et des cinq sœurs
Les pavés méticuleusement agencés dessinaient une rue calme lorsqu'aucun véhicule ne s'appliquait à suivre son tracé. Située dans les quartiers nord de Bordeaux, proche de la place Ravezies, elle ne desservait aucune destination, si ce n'était une caserne militaire à l'une de ses extrémités. Une petite chapelle à quelques pas de là appuyait le caractère sacré du lieu. Le nombre des étroites maisons n'était pas proportionnellement réparti de chaque côté de la chaussée. Ce déséquilibre était dû à un haut et long mur de briques rouges, de plusieurs dizaines de mètres qui signalait par sa présence l'enceinte d'une entreprise de transport. L'immense portail en tôles pleines, rouillées sous l'action persistante du temps, ouvert par moments, laissait entrevoir d'imposants camions bennes de la marque UNIC. Et puis, presque timidement face à cette colossale bâtisse s'illuminait une minuscule demeure au onze de la rue du Chanoine Vidal. Le commun trellis grillagé qui ne protégeait qu"une limite affective, bordait la fragile maisonnette implantée tout en longueur et dont la face la plus réduite s'offrait au regard. Le petit carré d'espace non clos accueillait un miniscule bassin en ciment où le linge était lavé à l'eau froide. Une menue table ronde blanche en fer, ornée de mille trous et ses quatre chaises de pareille confection se posait là devant les pots de géraniums situés sous la fenêtre de la chambre parentale. Au dessus de cette ouverture, aux volets repliés en été, fixée au fronton de la mignonnette habitation et visible à tout passant s'attardant dans son élan, une plaque taillée dans un marbre rosé constellé de lettres dorées recevait un message destiné Villa des quatre frères et des cinq sœurs.
De rose, tu étais dans la clarté des jours glanés, des heures clamées. Proclamées. Attachée à l'aune des gris ternis d'aujourd'hui, à l'ombre des chiffres en décompte de suie. D'êtres. Une simple plaque (r)osée de nervures gravées, dorées dans les sillons que comptent l'oubli d'une famille. Où est-elle la pierre de marbre éclairée ? De mots isolés. Mausolée érigé au culte de fraternité. Que deviendront les lettres ornées aux cènes troublées, dans le silence des lieux partagés ? Une stèle célébrée dans le miracle des alliances sacrées. Unions de gaieté.
Une branche de pin dans la lande
Alors que le soleil fond son âme sur les paysages encore sommeillants d'une lande oubliée, les brumes s'effacent lentement au regard, laissant apparaître les troncs impuissants à retenir, les frêles fumées de rosée non encore consumées. Plus haut, les feuillages éclaircissent la couleur des cimes. L'automne est bien là, au frais du petit matin. Tout semble à sa place dans l'immensurable. Soudain, un oiseau pose la branche d'un pin, pareil aux pignes inversement érigées. On ne peut distinguer à cet instant, une infime différence entre les deux silhouettes légèrement inclinées dans l'éclat des apparences. Une myriade de limailles luminescentes tracent les aiguilles du temps dans le feuillage étoilé. Des milliards de lueurs soutiennent l'oiseau poussant son chant vacillant, à l'abîme du jour naissant. Comme c'est étonnant que cette branche dans la même nuit, parée de sa pleine ombre sans teint, accueillit un semblable nocturne au chant ruisselant. Le spectacle vierge d'obscurité au travers des ramures émaillées, par les lointaines lueurs d'une sphère céleste parsemée, retrouvait les desseins d'un petit matin observé. De jour, comme de nuit, accompagnées de notes comblées, les ramilles scintillent sous la caresse du vent. Quel bel arbre. La nuit, son harmonieuse ombre frissonne de clarté. Le jour, ses communes couleurs frétillent en dentelles de lueurs.