Et autres murmures…
« Perlimpinpin » ↑
Autrefois dans certaines familles, l'enfant n'avait pas droit à la parole — elle ne lui était simplement pas accordée et souvent même retirée. Le seul privilège à sa condition était la lourde responsabilité de garder le silence. Charge on ne peut plus pesante, extrêmement déconcertante par l'impossibilité de pouvoir exprimer ne serait-ce qu'une émotion, un sentiment […] Juste un silence. Enfant isolé de lui même. En lui même. Emmuré dans la discrétion de « l'étant », comme absorbé par une brume dense abîmée de mots. Imaginez une enfance muée sans rires, sans cris, sans pleurs, étouffée d'absence expressive. Comment prendre une place alors sans l'exercice de la voix ? Comment s'affirmer sans la possibilité d'émettre un son ?
La difficulté s'accroît en grandissant lorsque n'ayant pas eu l'opportunité pendant de nombreuses années, de s'exercer aux subtilités du langage, « au bruissement de la langue » pour reprendre une expression de Roland Barthes, l'enfant doit apprendre à gérer les frustrations et les humiliations. Submergé par la déficience d'un bien naturellement commun — la parole. Une différence certes exclusive mais paradoxalement bien inclusive. Dès lors, la vie sera perpétuellement constellée de retrait, d'isolement, de solitude et de honte. Et pour peu que les mouvements de la petite enfance eussent été régulés, contrôlés, modérés voire soustraits alors un simple isolement mène immanquablement à l'enfermement.
Comment adultes, de tels êtres effacés d'eux-mêmes peuvent-il communiquer simplement avec leurs semblables et envisager un jour au delà du regard porté à travers le miroir trouver le chemin pour oser prendre la parole en public ? Ces êtres dont les troubles du langage ne sont que des plaies non cicatrisées d'une malheureuse expérience.
Fort heureusement, les êtres dont il est question, enfants de tous les temps ont appris plus que d'autres à écouter, à ressentir, à regarder — à porter leur attention au delà de leur vie, au delà des sens dans l'hâtive insignifiance des détails de l'existence.
Oui, il y a certes le regard de l'incompréhension porté sur ce qui arrive et ce qui se passe autour — dans l'enfance, dans une vie adulte. Mais, il y a un regard atteint qui s'impose aux sens parce qu'il n'y a que cet échappatoire pour ne pas sombrer dans la folie — si proche la folie. Se reconnecter à l'innocence pillée de l'enfance qui ne peut en aucun cas être bafouée. Observer un grain de poussière en lévitation parmi des milliers, dans la clarté de touches musicales aux premières heures d'un petit matin — malicieuse, approchée comme un geste de satin, attribuée, luminescente. Regard sans éclat des apparences, où la douce lumière poudrée entre simplement par son chant éclairant à travers les chemins sinueux du tourment. S'émerveiller de ce temps rompu dans la précipitation des journées. Respirer chaque seconde offerte aux sens. Le faufilé bleuté dans une transe troublée d'eau tombée en pluie.
« Lorsque l'enfant était enfant […] » Les ailes du désir, Wim Wenders, 1987.
Le temps de l'écriture est différent de celui de la parole. Peut-être est-ce le premier endroit où se poser. Goûter chaque mot, chaque agencement, possiblement y revenir et s'inscrire dans un silence proche devant lequel il n'y a pas d'attente. Un silence qui permet d'observer ce qui se passe autour dans la pause de l'écriture — la buse venant s'inviter à hauteur d'homme sur la branche mise à nue de feuilles déposées comme une ombre, au pied d'un petit chêne à quelques mètres seulement de là. Savourer cet instant d'automne empreint d'Amour […]. Se remettre aux lignes qui suivent l'inspiration du moment. Et un jour qui sait, possiblement prendre la parole.
André NEHER dans L'Éxil de la parole écrivait « Souvent, l'homme se tait, non parce qu'il ne possède pas de meilleure clé d'accès à l'infini que le silence, mais parce que le silence lui offre une prodigieuse variété de clés d'accès à sa propre finitude humaine. »
Prendre la parole en public est un exercice difficile — non pas désagréable mais éprouvant car bien souvent la solitude accompagne le pèlerin avançant dans l'épaisse blancheur des sommets enneigés, où seule l'écrasante sonorité de ses pas rompt l'extrême générosité d'un silence. Un frileux crissement étouffé de volonté. Frémissement consacré…